J’ai grandi en Normandie et je me suis initié au judo à l’école à Montivilliers grâce à Guillaume Selles, un professeur d’éducation physique. J’ai eu cette chance d’avoir cette main tendue qui m’a quasiment sauvé la vie. J’étais un garçon timide, en demande d’affection, qui avait confondu son cœur et son estomac, puisque je faisais 100 kilos à 12 ans, et la compétition a tout de suite donné un sens à ma vie. Mon gabarit, qui était jusqu’ici source de moquerie, de différence et de difficulté sociale, s’est transformé en atout. Je suis devenu un poids lourd, une catégorie très respectée qui est celle des costauds. À ce moment-là, je deviens quelqu’un.
Une nouvelle famille grâce au sport
Les choses dont je suis le plus fier c’est d’avoir été champion de France de judo, c’est mon graal à moi, et le même jour que mon épouse ! C’était marrant parce qu’on nous appelait en rigolant la famille en or (sourires). Et puis la même année, je fais un podium au tournoi de Paris à Bercy et j’ai la chance d’être médaillé mondial et européen avec l’équipe de France. Ce que j’apprécie dans le judo c’est la notion de partage et de contact. C’est un sport où l’on se tient et on ne peut pas tricher. Et il y a toujours eu de la bienveillance et de la fraternité autour de moi. Je pense notamment à David Douillet, les anciens, Ghislain Lemaire, Vincenzo Carabetta, des frères d’armes qui m’ont permis de me créer une deuxième famille. Au judo, on chute, on se relève, ce n’est pas toujours facile, mais on trouve la voix de la souplesse, pas pour faire le grand écart, mais pour être capable de s’adapter aux autres, à soi-même et aux situations de la vie.
Le judo au service des autres
La fin de ma carrière coïncide en 2008 avec le titre de Teddy Riner qui devient champion d’Europe dans ma catégorie, et là, je sais que c’est la fin. Cette compétition marquait d’ailleurs mes débuts de consultant en télévision. Ce travail me permet aujourd’hui de donner au grand public des clés sur la performance. On a en équipe de France des athlètes hors du commun et c’est ce que j’essaye de mettre en valeur. Quand je croise quelqu’un qui est dans la dépression, ces judokas me servent d’exemples pour trouver des solutions. « Regarde-le comme il est en difficulté, il est mené à 5 mn de la fin et il a trouvé les ressources pour gagner et faire Ippon sur le gong ! ». Même objectif au ministère des sports où je travaille en tant que responsable d’une immense machine qui s’appelle l’itinéraire des champions. L’objectif est d’emmener l’équipe de France au contact des jeunes licenciés mais aussi du grand public, dans les écoles et de toutes les personnes éloignées de la pratique, en situation de handicap ou dans les EHPAD par exemple. J’ai le souvenir d’une journée où l’on s’est rendu dans un hôpital avec des enfants très malades, dont certains en phase terminale. On sait qu’on est en train de leur dire au revoir, c’est très difficile à vivre. Et je me souviens de Cécile Nowak, championne olympique 1992, rentrant avec sa ceinture blanche et rouge et sa médaille olympique dans la chambre d’un petit garçon qui n’a plus de cheveux. L’enfant lui saute dans les bras en s’exclamant : « Ah, c’est toi la championne, c’est toi la championne ! ». Il se passe quelque chose d’indescriptible. Qu’est-ce qu’il voit ? Je ne sais pas, il voit l’équipe de France, une forme de divinité. En tous cas ça lui fait du bien et ça donne du sens à un passage de sa vie qui n’en a pas beaucoup. Et nous nous sommes au service de ça.
Vendeur de rêve
Le judo m’a beaucoup aidé dans beaucoup de combats. Et le plus grand c’est celui contre l’obésité. J’ai été compulsif sur la nourriture pendant des années, et, après avoir essayé 10 milliards de régimes et de trucs qui n’ont pas marché, j’ai trouvé une solution, je n’en fais pas la promotion, mais pour moi ça a été l’opération de l’estomac. Aujourd’hui, j’ai perdu 55 kilos et je suis en pleine forme. Et le judo m’a aidé. Quand je suis monté dans le bus pour aller à l’hôpital pour me faire opérer, j’ai fait mon petit sac comme pour aller aux championnats de France, je suis allé au combat en mode samouraï. C’était important pour moi, je voulais voir mes enfants grandir, je voulais faire cet effort. Et cette détermination, je la dois au judo.
Aujourd’hui J’aime me voir comme un vendeur de rêve et mon rêve ultime c’est de bien vivre ensemble, qu’il y ait une universalité dans la vie comme sur le tapis de judo. Nous, il y a des grands, des petits, différentes couleurs de peau, certainement des religions différentes, mais on est tous judokas, on a tous une ceinture et on est tous ensemble. La réalité c’est qu’aujourd’hui le judo, c’est le sens de ma vie et je suis au service de cette discipline. La période est difficile, particulièrement avec la Covid et quand je regarde les enfants lors d’animations avec la fédération française de judo avec 1000 petits gamins sur le tapis, je vois des petits Frédéric. Et j’ai envie de leur dire : « Je suis là à ton service, regarde comme la vie est belle, ne tombe pas dans la noirceur de l’âme et fais toi confiance. Viens avec nous, donne-toi ta chance dans la vie et crois en tes rêves !».